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6 mauvaises raisons de ne pas prendre des compléments alimentaires

6 (mauvaises) raisons de ne pas prendre de compléments alimentaires d’après :LaNutrition.fr, le 19/05/2008

Les Français consomment peu de compléments alimentaires. La faute à six idées reçues.

Supposez que l’on trouve une nouveau médicament capable de prévenir les malformations du fœtus et les complications de la grossesse, améliorer le quotient intellectuel, stimuler l‘immunité, réduire la durée des infections, améliorer le pronostic de l’infection HIV, prévenir ou retarder les maladies cardiovasculaires, prévenir de nombreux cancers, retarder la maladie d’Alzheimer, diminuer la durée des hospitalisations, réduire les comportements violents, soulager la dépression, prévenir la perte de mémoire liée à l’âge… Supposez que l’on puisse fabriquer ce médicament à un coût dérisoire. Le gouvernement s’empresserait-il de le proposer à la population, les médecins le prescriraient-ils à leurs patients ?

La réponse est non. Car nous possédons déjà un tel médicament et rien n’est fait pour en faire bénéficier celles et ceux qui en ont le plus besoin.

Ce « médicament » est une association des principaux nutriments essentiels ou conditionnellement essentiels, vitamines, minéraux, acides gras, phospholipides, antioxydants… aux doses proches de celles fournies par une alimentation optimisée. Ce médicament est déjà utilisé par les personnes appartenant aux catégories socio-professionnelles les plus aisées, c’est-à-dire celles qui en ont le moins besoin, puisqu’elles mangent mieux, fument moins, font de l’exercice, ont les moyens financiers de choisir un cadre de vie de qualité.

 

Ce « médicament » est peu ou pas utilisé par celles et ceux qui en ont besoin : les enfants et les adultes des milieux moins favorisés, les personnes âgées, les fumeurs, les gros consommateurs d’alcool, les personnes victimes de maladies chroniques, les patients hospitalisés, les personnes qui suivent un régime restrictif, celles qui mangent moins de 3 fruits et légumes par jour, celles qui évitent le soleil, qui consomment peu de poisson ou qui utilisent pour leur cuisine des corps gras déséquilibrés.

Même s’il ne faut pas en attendre des miracles, nous disposons depuis plusieurs décennies des preuves que de simples compléments alimentaires de vitamines, minéraux, acides gras, antioxydants, acides aminés… peuvent apporter des bénéfices importants et diminuer considérablement les dépenses de santé.

 

Alors pourquoi ne faisons-nous rien pour en faire la promotion et faciliter leur usage ?

La faute à 6 idées reçues.

 

Idée reçue n°1. « La nutrition, c’est l’affaire des médecins nutritionnistes »

On ne dira jamais assez combien les découvertes de la nutrition doivent à la biochimie. La plupart des réactions métaboliques de l’organisme ont été mises à jour par des biochimistes. Ce sont des biochimistes qui ont identifié, isolé et synthétisé les vitamines. Ce sont eux qui, pour l’essentiel continuent de faire vivre et développer la science nutritionnelle fondamentale, longtemps ignorés de la médecine classique quand ils n’étaient pas tout bonnement raillés.

Quand il est devenu clair il y a quarante ans après les études de Framingham et des Sept Pays que l’alimentation jouait un rôle plus important qu’on ne le croyait sur la santé, la médecine a lancé un véritable hold-up sur le discours nutritionnel. Des endocrinologues français, jusqu’alors spécialisés dans le traitement du surpoids ou du diabète, et pour lesquels la biochimie reste une abstraction, se sont baptisés « nutritionnistes », multipliant avis, conseils et diktats y compris dans les domaines où leurs connaissances sont insuffisantes. On leur doit la plupart des idées caricaturales sur lesquelles se base hélas souvent la politique de santé, elle aussi conduite par des médecins : le cholestérol conduit à l’infarctus ; les graisses alimentaires sont responsables de l’obésité ; plus on avale de calcium, plus on a des os solides… Le terme de « nutritionniste » a été si complètement capté par le milieu médical français que les premiers des « nutritionnistes », les biochimistes eux-mêmes ne peuvent plus s’en prévaloir ! (1)

Pourtant, l’enseignement de la nutrition à la faculté de médecine reste embryonnaire, se limitant à quelques heures d’études au cours desquelles sont dispensées des données parfois éculées. Par exemple, on y enseigne encore que le seul intérêt de la vitamine C, c’est de prévenir le scorbut, alors qu’il s’agit du principal antioxydant des êtres vivants. Un peu comme si dans l’organisme l’eau ne servait qu’à nous éviter d’avoir soif.

La biochimie n’est guère développée, au point que la plupart des médecins, y compris certains de ceux qui sont en charge de la politique nutritionnelle officielle seraient bien incapables de décrire correctement les réactions qui permettent l’utilisation de l’énergie des aliments.

Dans les instances officielles où biochimistes et médecins se côtoient, le fossé est parfois si profond, l’incompréhension si totale, que les dissensions sont totales. Lors des débats en 2000 à l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) sur les quantités optimales et le type de graisses qu’il faudrait consommer pour être en bonne santé, de vives discussions ont opposé sur les oméga-3 biochimistes d’un côté (plus certains médecins pionniers comme le Dr Serge Renaud) aux tenants de l’Académie de médecine. Les premiers plaidaient pour que le rôle crucial de ces acides gras soit entériné par des recommandations audacieuses. Les médecins y étaient opposés. Pour une fois, les biochimistes ont eu gain de cause. 

(1) Dans les pays anglo-saxons et même au Canada francophone, un « nutritionniste » est un spécialiste de nutrition, pas nécessairement médecin.  

 

Idée reçue n° 2. « Les apports conseillés sont établis scientifiquement »

 

Pour s’opposer à la généralisation des compléments alimentaires, de nombreux nutritionnistes font valoir qu’une « alimentation variée et équilibrée » couvre largement les besoins en micronutriments.

C’est oublier que ces besoins sont très mal connus. A première vue, certes, lesApports nutritionnels conseillés pour la population française, publiés en 2001 par l’Afssa donnent une impression rassurante de science triomphante : vitamines, minéraux, graisses : les besoins sont fixés par tranche d’âge au milligramme près, parfois après de savants calculs. Impressionnant, mais derrière cette belle façade se cachent de multiples arrangements avec les chiffres.

Pour commencer, les études qui servent de base à ces apports conseillés ont pour la plupart été menées chez de jeunes hommes en parfaite santé et n’ont pas excédé quelques jours, voire quelques semaines. Quels sont les besoins réels des quadragénaires ? Des femmes ménopausées ? Personne n’en sait rien. Place à la calculette et aux règles de trois !

Lorsque des données assez solides existent, comme c’est le cas pour la vitamine E, encore faut-il avant de les entériner, que les besoins ainsi calculés cadrent avec le principe, déjà énonce plus haut, selon lequel l’alimentation seule doit subvenir aux besoins de la population. Un exemple de ce rationalisme scientifique est fourni par la vitamine E. En 1963, les Américains lancèrent une série d’études pour déterminer les besoins de la population. En tenant compte de tous les paramètres biologiques et épidémiologiques, il fut conclu en 1968 qu’un apport moyen de 20 mg par jour était nécessaire. Mais patatras ! Plusieurs enquêtes alimentaires menées à la fin des années 1960 et au début des années 1970 établirent que les Américains ne consommaient pas plus de 9 mg de vitamine E par jour. Avec un pragmatisme confondant, les autorités sanitaires, plutôt que de reconnaître que les Américains ne couvraient pas leurs besoins réels et qu’ils devaient pour cela faire appel à des compléments, préférèrent en 1974 diviser par 2 les apports nutritionnels conseillés. Cette valeur sortie du chapeau fut présentée comme « un apport arbitraire mais pratique. » En 2000, sous la pression des biochimistes, les apports conseillés (RDI) ont été relevés aux Etats-Unis à hauteur de 15 mg/j.

De son côté, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments a reconduit en 2001 les apports en vitamine E fixés en 1992 (12 mg/j) sans même argumenter ce choix, indiquant de manière laconique que l’objectif visé est « de proposer des apports nutritionnels, donc atteignables par l’alimentation courante. » Avec ce type de raisonnement circulaire, il devient bien sûr plus facile d’affirmer que l’alimentation « équilibrée » couvre les besoins en nutriments !

 

Depuis une bonne décennie les meilleurs spécialistes mondiaux de la vitamine D nous disent qu’il en faut au minimum 800 à 1000 UI (unités internationales) par jour pour garder des os solides, prévenir les cancers et décourager les maladies auto-immunes. Mais en 2001, l’Afssa a arbitrairement et sans justification scientifique divisé par deux les apports conseillés en vitamine D de 1992 – déjà très insuffisants. Depuis, les Français n’ont officiellement besoin que de… 200 UI par jour ! Il est vrai qu’une étude venait de montrer qu’en hiver 75% des citadins manquaient de cette vitamine anti-cancer, qui prévient aussi les maladies auto-immunes. Avec les nouvelles valeurs, le statut de ces Français s’est amélioré en une nuit, et surtout sans avoir recours à des compléments de vitamines. 

Lorsque l’arbitraire ne préside pas à la fixation des apports conseillés, ce sont trop souvent les erreurs, les approximations et les procédures discutables qui règnent.  

Dans le cas de la vitamine A, les apports réels ont été mécaniquement surestimés par l’Afssa à cause d’une erreur dans le calcul de conversion du bêta-carotène (un pigment des végétaux) en vitamine A une fois ingéré. L’Afssa estime que 6 mg de bêta-carotène donnent naissance à 1 mg de vitamine A, alors qu’il en faut en réalité 12 mg.

 

Pour fixer les besoins en vitamine C à 110 mg par jour, l’Afssa s’est basée sur une étude américaine de saturation plasmatique qui souffre d’un biais d’interprétation monumental, au point que son auteur, l’Américain Mark Levine, a été contraint de reconnaître son erreur. L’Afssa a aussi fait parler les données d’une étude d’intervention française, en rapprochant de manière hasardeuse deux variables si distantes que leur interprétation est particulièrement acrobatique. En réalité, si l’on tient compte de la correction apportée sur l’étude américaine et d’autres données fondamentales ignorées par l’Afssa, nous avons pu calculer que les besoins en vitamine C d’un adulte sont au minimum 5 fois supérieurs aux 110 mg retenus par l’Afssa pour les apports conseillés.

Idée reçue n°3 « Il faut attendre les résultats des études cliniques »

 

Pour éviter de conseiller plus largement l’usage de compléments nutritionnels, les nutritionnistes plaident la prudente ignorance du scientifique : « Nous ne connaissons, disent-ils, ni les conséquences réelles des déficits nutritionnels, ni les effets des compléments. Conduisons des études cliniques, et quand tous les résultats seront connus, nous ferons des recommandations. » Cet argument paraît frappé au coin du bon sens, et c’est la raison pour laquelle il fait si souvent mouche dans les cercles gouvernementaux, les médias et l’opinion. Seuls des irresponsables, en effet, accepteraient de se passer de preuves avant de faire des recommandations qui engagent la santé. Cela d’autant plus, renchérissent les nutritionnistes, que dans le passé, deux études ont montré que des compléments alimentaires de bêta-carotène, au lieu de prévenir le cancer, l’ont favorisé.

En réalité, cette attitude « prudente » est profondément choquante sur le plan de la santé publique.

Le grand public doit savoir qu’on ne peut pas appliquer à la recherche en nutrition exactement les mêmes méthodes que celles de l’industrie pharmaceutique. Les études cliniques, qui consistent à comparer sur des volontaires les effets d’une molécule et ceux d’un placebo, ont été inventées et formatées pour les besoins de la recherche pharmaceutique, qui met au point des médicaments. Dans certains cas, elles peuvent être adaptées à l’étude d’un nutriment – par exemple, les acides gras de poisson en prévention de l’infarctus ou en traitement de la dépression. Vouloir systématiser leur usage en matière de recherche nutritionnelle témoigne d’une attitude réductionniste. Non seulement est-il pratiquement et financièrement impossible de mettre sur pied les innombrables études cliniques qui permettraient d’examiner, et ce pendant plusieurs années, les effets d’un nutriment isolé sur chaque sous-groupe de la population, mais ce n’est pas toujours souhaitable.

Dans l’alimentation, les nutriments interagissent en permanence sous leur forme naturelle. Le cas le plus connu est celui des antioxydants, qui s’épaulent en permanence au niveau cellulaire.

Pour avoir oublié cette règle simple, l’Institut National du Cancer des Etats-Unis a conduit dans les années 1990 deux grandes études cliniques aux résultats catastrophiques : la Beta Carotene and Retinol Efficacy Trial (CARET) et l’Alpha-Tocopherol, Beta-Carotene Cancer Prevention Study (ATBC) qui ciblaient deux populations à haut risque de cancer du poumon.

–  L’étude CARET, conduite auprès de 18 500 fumeurs, ex-fumeurs ou travailleurs exposés à l’amiante a été arrêtée prématurément lorsque les chercheurs ont réalisé que le groupe qui prenait un supplément quotidien de 30 mg de bêta-carotène et de 25 000 UI de vitamine A avait un risque de cancer du poumon augmenté de 28 % par rapport au placebo.

–   Dans l’étude ATBC, conduite auprès de 29 1330 fumeurs, le risque de cancer du poumon a été augmenté de 16 % avec la prise quotidienne de 20 mg de bêta-carotène.

En dépit de leur impact très négatif sur l’opinion, ces deux études nous ont apporté la confirmation qu’un nutriment n’est pas un médicament.

 

D’abord, l’environnement peut altérer le comportement d’un nutriment. Dans le cas des études CARET et ATBC, il est clair que l’intensité du tabagisme a modifié les effets préventifs du bêta-carotène. Dans l’étude ATBC, le bêta-carotène a augmenté le risque de cancer chez les gros fumeurs (20 cigarettes ou plus par jour), mais n’a entraîné aucun risque supplémentaire chez ceux qui fumaient moins de 20 cigarettes quotidiennes. Dans l’étude CARET, le risque de cancer est augmenté chez les personnes qui fumaient au commencement de l’étude (+ 42%), mais pas chez les gros fumeurs qui avaient arrêté le tabac avant le début de l’étude. Par rapport à ceux qui prenaient un placebo, ces anciens fumeurs qui prenaient du bêta-carotène et de la vitamine A ont vu leur risque de cancer baisser de 20% (même si le résultat n’est pas significatif sur le plan statistique).

Ensuite, il faut être très prudent lorsque l’on s’avise de transposer directement les processus de la recherche pharmaceutique à la recherche en nutrition. Dans la mesure du possible, les études cliniques devraient tester les substances mêmes que l’on trouve à l’état naturel dans notre alimentation. Le bêta-carotène synthétique employé dans les études CARET et ATBC se comporte différemment du bêta-carotène naturel. Par exemple, à la dose de 20 mg/jour comme dans l’étude ATBC, il entraîne une augmentation de 400% de la teneur du plasma en bêta-carotène.

Les mêmes difficultés se retrouvent dans le cas de la vitamine E. Le terme de vitamine E désigne deux familles de substances, les tocophérols et les tocotriénols, dont il existe 2×4 isomères. La plupart des études portant sur la vitamine E utilisent un seul de ces isomères, l’alpha-tocophérol, de surcroît sous sa forme synthétique, le d-l-alpha-tocophérol – alors qu’un mélange d’isomères naturels serait plus approprié.

Enfin, les investigateurs doivent impérativement tenir compte de la synergie entre nutriments. Alors que les études portant sur des nutriments isolés ont donné des résultats décevants, celles qui proposaient une association de plusieurs substances nutritionnelles ont le plus souvent permis de diminuer les risques de maladie.

Si les études cliniques sont fréquemment inadaptées à la recherche nutritionnelle, comment alors prouver l’intérêt des compléments alimentaires ? En accordant à l’épidémiologie un poids au moins aussi important qu’aux études cliniques. L’épidémiologie, dont il existe de nombreuses variantes, consiste à observer des groupes de la population, par exemple ceux qui ont peu de vitamine D, et à comparer leur santé à celle de ceux qui en ont beaucoup. Il existe aujourd’hui des dizaines de milliers d’études épidémiologiques qui, prises collectivement, permettent raisonnablement de dire que  les déficits nutritionnels doivent être corrigés, par une meilleure alimentation, l’enrichissement des aliments ou les compléments alimentaires, au risque de conduire à des troubles graves. Ces troubles mettent des décennies à se déclarer en raison de nos capacités de résilience, c’est-à-dire l’extraordinaire aptitude du corps humain à s’accommoder, à court et moyen terme, de conditions biologiques défavorables (comme dans la famine ou au contraire dans l’obésité). Voilà pourquoi, la plupart du temps, les déficits en vitamines, minéraux, acides gras, ne se manifestent pas par des symptômes marqués, qui mettent l’existence en danger. Mais par une altération discrète des processus biochimiques qui, à la longue, lorsque l’organisme a épuisé ses capacités de résilience, conduisent à la maladie : dépression, trouble cognitif, infarctus, cancer, ostéoporose, diabète, Parkinson…

Faut-il attendre les résultats d’études cliniques aléatoires pour conseiller le grand public, au risque de voir les déficits faire le lit des maladies chroniques ? Voici ce qu’en pense Gladys Block (université de Californie, Berkeley), une autorité mondiale dans le domaine de la nutrition : « Certains chercheurs prétendent que les essais cliniques représentent le seul standard « en or » pour tester des hypothèses concernant des facteurs alimentaires et la santé. Avec les autorités de la santé, ils soutiennent que tout jugement scientifique et toute allégation santé doivent être suspendus tant que les hypothèses ne sont pas prouvées par une étude clinique. Je soutiens que, pour la plupart des hypothèses qui ont une signification large en matière de santé publique (…), les études cliniques sont à la fois inappropriées et souvent impossibles. (…) Seul l’examen solide des preuves obtenues en laboratoire et par l’épidémiologie peut nous aider à approcher des réponses. (…) Pour de nombreuses questions concernant le rôle des facteurs nutritionnels dans la prévention primaire des maladies à long délai d’apparition, la seule réponse se trouve dans une synthèse intelligente. »

 

Voici ce qu’en dit Jeffrey Blumberg, Directeur du laboratoire de recherche sur les antioxydants, Directeur associé du Centre de recherche en nutrition humaine à l’université Tufts de Boston : « Les nutritionnistes qui conseillent d’attendre ont tort. Nous ne pouvons pas nous payer le luxe de dire au public : « Donnez-nous encore 10 ou 20 ans, parce qu’on veut être absolument sûrs. » Ce n’est ni fair-play, ni acceptable. Refuser de communiquer au grand public l’information que nous possédons est une erreur, en particulier au moment où nous sommes confrontés à une grave crise de la santé publique pour ce qui est des maladies chroniques. Nous avons suffisamment d’informations aujourd’hui pour faire des recommandations. (…) Le moment est venu de prendre la parole et de dire que le bénéfice des suppléments est hautement probable et qu’il n’y a pas de risque de toxicité. »

 

Même son de cloche à l’Ecole de santé publique de Harvard (Boston), où l’on déclare, par la voix du docteur Meir Stampfer : « Il est possible de faire des recommandations à partir des données provenant des études de prévention secondaires et des études de progression de ces maladies, plutôt que d’attendre les résultats d’études de prévention primaires, qui seront massives, onéreuses et longues. »

Idée reçue n°4. « Une alimentation variée et équilibrée couvre tous nos besoins »

 L’idée que l’alimentation ne couvre pas les besoins en nutriments essentiels d’une partie importante de la population est insupportable à de nombreux médecins, et inconcevables par les responsables politiques et les hauts fonctionnaires. La réglementation française impose d’ailleurs aux fabricants de compléments alimentaires de dire que « seule une alimentation variée et équilibrée est susceptible de couvrir les besoins quotidiens. »

Bizarrement, aucune des enquêtes conduites depuis 20 ans n’a réussi à prouver que l’alimentation des Français les met à l’abri de déficits micronutritionnels. Les chercheurs considèrent qu’une personne dont l’alimentation ne couvre pas les deux tiers des apports conseillés en micronutriments court un risque élevé de déficit. Selon des enquêtes françaises récentes, c’est le cas de 38% des femmes et 18,7% des hommes pour la vitamine E, 27% des femmes et 17% des hommes pour la vitamine C, 23% des femmes et 18% des hommes pour le magnésium, 57 à 79% des femmes et 25 à 50% des hommes pour le zinc… Pour le minéral-clé qu’est le sélénium, la consommation moyenne en France ne correspond qu’à 60% des apports conseillés. Enfin, 75% des adultes vivant en ville manquent en hiver de vitamine D.

 

D’un côté, on continue de clamer qu’une alimentation équilibrée et variée couvre les besoins en vitamines et minéraux, de l’autre on entérine dans les faits la situation de déficit nutritionnel dans laquelle se trouvent les Français, en donnant des suppléments de vitamines D et K aux nouveaux-nés, des suppléments de vitamines B9 et de fer aux femmes enceintes, des suppléments de fluor aux enfants, des suppléments d’iode à toute la population (par l’enrichissement du sel), des suppléments de vitamine D et de calcium aux plus de 60 ans, etc.

« J’ai le sentiment, dit à juste titre le Pr Pr Jeffrey Blumberg que la France a un problème avec la nutrition : de très nombreux responsables, de très nombreux médecins ne veulent pas admettre que l’alimentation française n’est pas parfaite. »

Aux Etats-Unis, comme dans d’autres pays, on l’a depuis longtemps admis. Des suppléments sont ajoutés depuis 1970 aux aliments de base. Ce sont actuellement les vitamines B1, B3, B6, B9, le fer, l’iode, et les vitamines A et D. En 1992, le Service de santé publique des Etats-Unis a recommandé que toutes les femmes en âge d’avoir des enfants reçoivent 400 μg de vitamine B9 par jour. En 1996, la FDA a autorisé les fabricants d’aliments et de suppléments riches en acide folique à faire état de la prévention des malformations du foetus par la consommation de ces aliments et de ces suppléments. Depuis janvier 1998, la FDA a mis en place un programme d’enrichissement en vitamine B9 des céréales, du pain et des pâtes, vendus sur le territoire américain.

En 1992, le Royaume-Uni a recommandé que toutes les femmes qui « envisagent une grossesse mangent plus d’aliments riches en folates [vitamine B9] et prennent un complément quotidien apportant 400 μg d’acide folique. »

Cette stratégie de complémentation des aliments de base a des implications importantes en terme de santé publique, puisque 25% des nutriments-clés ingérés par les Américains sont apportés par le seul enrichissement des aliments. La complémentation contribue donc de façon conséquente à l’équilibre nutritionnel de la population. « S’il était éliminé, a calculé le Pr Paul Lachance (Rutgers University, New Brunswick, New Jersey), des cas de malnutrition apparaîtraient, même dans des pays industrialisés comme les Etats-Unis. »

En 1999, un chercheur du Conservatoire National des Arts et Métiers, Nicole Darmon, a fait appel à la programmation linéaire pour déterminer le type d’alimentation que les Françaises et les Français doivent adopter pour obtenir vitamines et minéraux aux quantités fixées par les apports nutritionnels conseillés (ANC). Sa conclusion : il est impossible de recevoir ces doses optimales de vitamines et de minéraux sauf à consommer des aliments, comme les abats, qui sont dédaignés par plus de 70% de la population. La couverture des besoins est particulièrement difficile pour les vitamines B1, B6, E et D. Côté minéraux, les apports en magnésium, fer, zinc, cuivre sont problématiques. Un exemple ? Pour atteindre les ANC, une femme adulte devrait consommer chaque jour 1,25 kg de fruits et légumes frais.

De surcroît, il existe aujourd’hui de sérieux doutes sur la teneur réelle en vitamines et minéraux des fruits et légumes du commerce. Selon une enquête publiée en 2006 en Grande-Bretagne, sur 27 variétés de légumes, leur teneur moyenne en potassium aurait baissé de 16% entre 1940 et 1991 ; en magnésium de 24% ; en calcium de 46% ; en fer de 27% ; en cuivre de 76%. Pour les 17 variétés de fruits étudiées, les baisses moyennes atteindraient 19% pour le potassium, 16% pour le magnésium, 16% pour le calcium, 24% pour le fer, 20% pour le cuivre.

Une enquête du même type conduite aux Etats-Unis a trouvé qu’entre 1975 et 2001, les fruits et légumes avaient pour la plupart vu leur teneur en vitamines et minéraux chuter. Les épinards auraient perdu 45% de leur vitamine C, le maïs 33% de son calcium, le chou-fleur la moitié de sa vitamine B1, l’ananas, les deux-tiers de son calcium pour ne citer que quelques exemples.

Idée reçue n° 5. « Les compléments alimentaires détournent d’une alimentation équilibrée  »

 

Pour mieux souligner les limites des compléments alimentaires, les nutritionnistes opposent volontiers la capsule à l’aliment. « Une capsule, répètent-t-il, ne peut remplacer la richesse d’un aliment. » Comme s’il fallait choisir entre les unes et les autres. C’est oublier que les compléments alimentaires n’ont pas pour but de se substituer à l’alimentation, mais, par définition, de la compléter. Personne ne conteste la supériorité de l’aliment sur le complément nutritionnel : 10 mg d’un comprimé de bêta-carotène ne valent pas les mêmes 10 mg contenus dans une carotte, avec ses autres caroténoïdes, son potassium, ses fibres, ses vitamines, etc… Mais on peut manger ses carottes râpées et prendre aussi par précaution un complément de vitamines avec du bêta-carotène. Pour certains nutritionnistes, la prise de compléments aurait un « effet pervers sur le comportement alimentaire » dans la mesure où les gens seraient « détournés » d’une alimentation saine.

Mais cette affirmation ne repose sur rien. En fait, elle est démentie par la totalité des enquêtes menées auprès des utilisateurs de compléments alimentaires. Ces personnes ont en général des modes de vie plus vertueux et une alimentation plus saine que les non utilisateurs. L’étude NHANES II, et d’autres études américaines ont montré que les utilisateurs de suppléments reçoivent plus de nutriments par l’alimentation. Dans l’étude NHIS de 1992, l’alimentation des utilisateurs de suppléments était plus pauvre en graisses, plus riche en fibres et en plusieurs vitamines et minéraux que celle des non-utilisateurs.
Une étude conduite auprès de centenaires et de personnes âgées a montré que les utilisateurs de suppléments étaient physiquement plus actifs, ils consommaient aussi moins de sel, de graisses, de cholestérol, de sucre et de caféine que les non utilisateurs. Dans une étude conduite à Hawaï auprès de 4 654 hommes âgés de plus de 68 ans, les utilisateurs de suppléments étaient moins obèses que les non utilisateurs, ils étaient plus actifs, dormaient moins, fumaient moins, buvaient moins d’alcool et consommaient moins de caféine.
Une étude britannique sur 13 800 femmes confirme que celles qui font appel à des suppléments ont un mode de vie plus sain que celles qui n’y font pas appel. La prise de suppléments est associée au fait d’être végétarien, de consommer régulièrement du poisson, de consommer plus de fruits et légumes, de pratiquer une activité physique et de boire peu d’alcool. Les fumeuses, les femmes dont l’IMC est supérieur à 25 étaient celles qui consommaient le moins de suppléments. « Ces résultats confortent l’hypothèse selon laquelle l’usage de compléments alimentaires est associé à un mode de vie plus sain et un apport nutritionnel adéquat, » concluent les auteurs.
Une étude récente publiée dans l’American Journal of Epidémiology et qui portait sur 100 000 adultes a confirmé que “l’usage de supplements a tendance à augmenter avec l’âge, le niveau d’éducation, l’activité physique, la consommation de fruits et de fibres, et diminuer avec l’obésité, le tabagisme et la consommation de graisses. Les personnes dont le mode de vie est le plus sain étaient celles qui avaient le plus de chance de consommer des suppléments. »
Toutes les études conduites à ce jour s’accordent sur un point : les utilisateurs de suppléments sont pratiquement toujours ceux qui mangent le plus sainement.

6. « Les compléments alimentaires ont peut-être un intérêt mais certainement pas à doses élevées »

 

La glucosamine et la chondroïtine, deux substances naturelles, ont été données à dose élevée sous la forme de compléments alimentaires à des patients souffrant d’arthrose dans près de 20 études cliniques portant sur près de 3 000 personnes. Les résultats ont été comparés à ceux obtenus avec un placebo ou un médicament.

Dès 2001, des chercheurs ont étudié les résultats groupés de 16 études de ce type : la glucosamine était supérieure au placebo dans 12 des 13 essais cliniques en double aveugle. Quatre essais comparatifs ont conclu que la glucosamine est au moins aussi efficace que les médicaments anti-inflammatoires non stéroïdiens classiques (AINS). [1]

En juillet 2003, des chercheurs belges ont publié dans le journal de référenceArchives of Internal Medicine une analyse en cumul des résultats de 15 études portant sur la glucosamine et la chondroïtine sulfate. Cette nouvelle analyse conclut que la preuve est dorénavant apportée que ces substances naturelles diminuent la douleur, la rigidité des articulations et améliorent la qualité de vie des personnes qui les ont prises. Elles arrêtent ou freinent considérablement la progression de la maladie et peuvent stimuler la fabrication de nouveau cartilage.

La glucosamine et la chondroïtine améliorent en moyenne de 50% les symptômes de l’arthrose. Elles divisent par deux le risque de voir diminuer l’espace articulaire (un signe de progression de la maladie), comme l’a montré une étude de 2001 publiée dans le Lancet. [2]

Comment agissent-elles ? Les suppléments de glucosamine et de chondroïtine épargnent aux cellules de l’articulation, les chondrocytes, la tâche devenue quasi-impossible de fabriquer du cartilage (protéoglycanes) à partir du glucose. En apportant des compléments « tout prêts » comme la glucosamine et la chondroïtine sulfate, on permet aux cellules de se remettre à synthétiser du cartilage. Les suppléments de glucosamine par voie orale servent à fabriquer directement l’épine dorsale des protéoglycanes du cartilage ;

la glucosamine sert aussi à fabriquer les brins de glycosaminoglycanes attachés à cette épine dorsale ; les suppléments de chondroïtine sulfate par voie orale sont directement incorporés dans les protéoglycanes.

 

Les exemples de la glucosamine et de la chondroïtine montrent qu’on peut apporter un bénéfice en ravivant le métabolisme. Même les personnes en bonne santé peuvent attendre des bénéfices d’une relance du métabolisme par les compléments alimentaires, à des doses hors de portée de l’alimentation.

 

Un tiers des mutations qui affectent un gène diminuent l’affinité d’une enzyme pour son coenzyme et ralentissent donc la réaction enzymatique. Un grand nombre de personnes qui souffrent des quelques 50 maladies génétiques dues à des enzymes défectueux pourraient être améliorées par des doses élevées de la ou des vitamines du groupe B qui agissent comme coenzyme de l’enzyme en cause. De même, de très nombreux polymorphismes qui portent sur un nucléotide isolé, dans lequel l’acide aminé variant diminue la liaison du coenzyme et donc l’activité enzymatique, pourraient être corrigés en augmentant la concentration cellulaire du cofacteur grâce à un complément alimentaire fortement dosé. C’est le cas dans les polymorphismes de la méthylènetétrahydrofolate réductase (risque de maladies cardiovasculaires), de la glucose-6-phosphate déshydrogénase (anémie hémolytique), de la quinone oxydoréductase (cancers), de l’aldéhyde déshydrogénase (Alzheimer). 

 

[1]  Towheed TE : Glucosamine therapy for treating osteoarthritis.Cochrane Database Syst Rev 2001;(1):CD002946..

[2] Reginster JY : Long-term effects of glucosamine sulfate on osteoarthritis progression: a randomized, placebo-controlled trial. Lancet 2001, 357:251-256.